L’amphithéâtre Louise Michel de Sciences Po Lille affichait presque complet jeudi soir 5 octobre pour la conférence débat sur les plates formes collaboratives organisé par l’association Renforh.
Il est vrai que le sujet avait de quoi intéresser. Il est d’actualité puisque le jour même de cette conférence on apprenait que Taxify s’attaquait au marché parisien des courses en VTC (véhicule de transport avec chauffeurs) et venait affronter directement Uber.
Merci tout d’abord aux équipes de Sciences Po Lille pour la qualité de leur accueil et notamment à Emmanuelle Calandre, directrice de cabinet dont l’implication a fortement contribué à faire de cette conférence-débat une réussite et à François Benchendikh, directeur adjoint et directeur des études et de la scolarité qui a accueilli les participants à cette conférence-débat. Il revenait ensuite à Guy Thilliez, notre président, de présenter l’association Renforh que les lecteurs et les visiteurs de ce site connaissent bien.
Plates-formes : des réalités différentes
Pascal Peperstraete, de Renforh se livra à l’exercice compliqué de présenter un thème qui ne fait pas encore l’objet de définitions juridiques précises. Il le fit avec beaucoup de pédagogie en s’appuyant sur toute une série d’études.
Pour Pascal Peperstraete, le concept de plates-formes collaboratives recouvre des réalités différentes au sein d’un phénomène qui serait en train de révolutionner nos modes de production et de consommation et nos façons de produire, de consommer, de voyager ou de se loger (voir diaporama).
Aujourd’hui les plates-formes collaboratives couvrent de plus en plus de secteurs d’activités : la consommation – se nourrir, se divertir, se loger, se déplacer, s’habiller, se faire aider… mais aussi la réparation et la fabrication d’objets, l’éducation, la formation, le financement de projets. Quant aux plates-formes d’emploi, voire de micro travail, elles permettent à des personnes de vendre une prestation de services (job) tandis que les places de marché permettent à l’utilisateur de récupérer ou d’acheter le bien ou le service dont il a besoin.
Pascal Peperstraete acheva son exposé par une présentation rapide des propositions (19) du rapport Terrasse qui concernent le droit de la consommation, le droit social, le droit fiscal et commercial avant d’élargir son propos au mouvement du coopérativisme de plate-forme, mouvement alternatif aux plates-formes dominantes, qui induit un autre type de gouvernance des outils numériques et de l’Internet.
Après cet exposé liminaire, une séquence témoignages d’acteurs de trois plates-formes, présenta quelques-uns des aspects de cette économie collaborative. Ces trois plates-formes, FrizBiz, Eco-mairie et Mes commerçants du Grand Hainaut.com, appartiennent à la catégorie dite des places de marché et elles ont un véritable ancrage régional.
Eco-mairie : lutter contre le gaspillage et privilégier les échanges de proximité
Comme l’explique Michaël Pouchelet de la start-up Touteco, c’est dans l’agglomération de Dunkerque, qu’a démarré la plate-forme Eco mairie (www.eco-mairie.fr).
Le maire de Grande-Synthe souhaitait améliorer la collecte des déchets sur son territoire tout en réduisant à la fois les coûts de ramassage et réduire les déchets encombrants. Fruit de cette volonté, Eco-mairie a donc été construite en lien avec la communauté urbaine de Dunkerque pour créer une plate-forme géolocalisée de revente et d’échanges d’objets qui facilite les échanges, gratuits ou monétaires, entre habitants et voisins. Le lien établi avec les structures de recyclage, de récupération et de solidarité et également avec les bailleurs sociaux permet à ces objets ainsi déposés d’avoir le maximum de chances d’une seconde vie avant destruction.
La start-up accompagne la collectivité dans la mise en place de cette plate-forme géolocalisée avec la charte graphique de ladite collectivité qui verse une adhésion au dispositif et un abonnement annuel à la plate-forme.
Elle permet à la collectivité de répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux des directives européennes de réduction des déchets avec des éléments chiffrés sur les résultats obtenus.
Aujourd’hui, après deux ans de développement la plate-forme, dans ses différentes déclinaisons territoriales, touche potentiellement une population de près de quatre millions d’habitants et intéresse aussi bien Veolia que les grandes agglomérations.
FrizBiz et les « jobbers »
Cette synergie entre entreprises classiques et plates-formes collaboratives, on la retrouve dans le témoignage, de Pierre-Edouard Rigot, responsable de l’innovation chez Leroy-Merlin, à propos de FrizBiz (www.frizbiz.com).
Dans ses magasins, Leroy-Merlin assure la proposition de FrizBiz, une plate-forme sur laquelle des « jobbers » proposent leurs services de petit bricolage à des particuliers. Des services, qui ne font pas concurrence aux artisans du réseau, insiste Pierre-Edouard Rigot, mais qui permettent à l’enseigne de vendre plus facilement ses produits en apportant une solution pratique au client qui souhaite réaliser un projet. L’enseigne prélève une commission sur la transaction passée entre le « jobber » et le particulier qu’elle ristourne en bons d’achat délivrés aux clients fidèles.
Revenir dans les commerces de proximité
Comme Eco-mairie ou FrizBiz, Mes commerçants du Grand Hainaut.com (www.mescommercantsdugrandhainaut.com/) est une place de marché.
Portée par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Valenciennes, cette plate-forme permet aux particuliers du territoire d’acheter en ligne le produit recherché et trouvé sur la plate-forme et qu’il pourra venir retirer facilement en magasin.
Dans leur intervention, Didier Rizzo, vice-président commerce à la CCI du Grand Hainaut et Gwenaëlle Vandeville, responsable du e-commerce et du tourisme dans cette même CCI, ont expliqué que, après six mois de présence, cette plate-forme a permis de faire revenir de nouveaux clients dans les commerces de proximité de l’agglomération.
LaChambre de Commerce et d’Industrie régionale (Didier Rizzo est président de la commission Commerce à la CCI régionalel) observe attentivement le dispositif testé à Valenciennes avant d’envisager éventuellement de l’étendre à d’autres territoires.
La table ronde qui a suivie cette séquence de témoignages, permit de prolonger la réflexion sur différentes questions qui sont sous-jacentes aux plates-formes collaboratives. Dans son intervention, après avoir présenté les objectifs de la Mission de Développement des usages numériques au Conseil régional des Hauts de France qu’elle dirige, Isabelle Zeller souligna le caractère enthousiasmant de tous ces nouveaux usages qui rapprochent les uns et les autres et qui visent à satisfaire tel ou tel besoin ou telle ou telle demande ou à apporter des solutions concrètes à certains petits problèmes.
Définir l’économie collaborative
Présidente de la commission Transports et Tourisme du Parlement européen, la députée européenne, Karima Delli a longuement évoqué le bras de fer du Parlement et de sa commission avec les géants du secteur, et notamment Uber. Une définition juridique de ce qu’est l’économie collaborative est aujourd’hui nécessaire pour éviter les abus d’opportunisme des plates-formes multinationales qui tendent à imposer leur loi dans leur secteur d’activité, qui bousculent les cadres institutionnels, législatifs et réglementaires et qui s’affranchissent allègrement du droit du travail, du droit social, du droit fiscal et du droit commercial.
Pour Karima Delli, tous les échanges qui sont de type partage de frais, échanges entre non professionnels, relèvent de l’économie collaborative, ce dont ne relèvent pas à ses yeux les plates-formes qui sont des opérateurs. Et ce sera la définition de seuils qui permettra de faire le distinguo entre ce qui est professionnel (et qui n’a rien à voir avec l’économie collaborative) et ce qui est non professionnel (et qui relève de l’économie collaborative).
Son intervention fut tonique. Karima Delli connaît bien le sujet.
Elle a d’ailleurs porté un rapport sur l’économie collaborative. « Aujourd’hui 60 % des dossiers numériques que l’on traite sont discutés dans la commission que je préside ». « La révolution numérique a totalement transformé nos modes de mobilité. Le législateur a besoin de regarder ce qui est en train de se passer pour essayer d’encadrer ce zapping en répondant aux besoins du citoyen tout en répondant aux défis du XXIe siècle » (défis environnementaux, écologiques, sociaux), en faisant en sorte que cette mobilité soit inclusive sans pour autant perdre nos valeurs de solidarité.
Pour une économie collaborative non prédatrice
Sandrino Graceffa, administrateur délégué de SMart Europe, a, de son côté, expliqué rapidement le projet SMart et les outils de mutualisation qui ont été développés par SMart à destination des travailleurs autonomes.
Il a notamment raconté la façon dont Smart a accompagné les délivreurs à vélo, lorsque ceux-ci se sont confrontés à un changement unilatéral des modes de rémunération de la part de la plate-forme Deliveroo.
Il a également évoqué certaines des propositions qu’il a énoncées dans le livre d’entretiens « Refaire le monde du travail – Une alternative à l’ubérisation de l’économie », publié aux Editions Repas, dans la collection de « Pratiques utopiques ».
Ce livre est le fruit de ses réflexions inspirées par son parcours atypique de travailleur social, de dirigeant d’un cluster d’entreprises rassemblées aujourd’hui à la Grappe de la rue Gambetta à Lille, et aujourd’hui d’administrateur délégué d’un groupe européen. A la fin de cet ouvrage, il formule quatre propositions qui relèvent de l’innovation sociale « pour refaire le monde du travail » et dont l’une est intitulée « promouvoir une économie collaborative non prédatrice ». Il dénonça la bulle économique qui ne manquera pas d’éclater et que représentent ces plates-formes collaboratives qui sont très lucratives et qui visent à réduire au maximum le coût de la main d’œuvre. Il parie sur le fait que le consommateur prendra conscience de la nécessité de développer des plates-formes avec des modèles économiques moins prédateurs au service de la mutualisation et des projets, des plates-formes, plus soucieuses de développement local, de proximité, de solidarité et de gouvernance partagée.
Après la séquence d’échanges avec la salle et le mot de conclusion de Guy Thilliez, pour qui on en sait plus au sortir de cette conférence-débat qu’avant d’y entrer, une collation (préparée par Alexandra Tamiezan de Africanov) permit aux organisateurs, aux intervenants et aux participants de poursuivre encore les échanges.